Le maître de balai

Publié le par bienvenuechezlesfous

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           Marco et Paméla sont collés l'un à l'autre malgré la chaleur californienne.

Leurs dents s'entrechoqueraient dans l'ardeur de leur étreinte s'ils ne prenaient garde à ne pas abîmer prématurément le coûteux travail de chirurgie plastique maxillaire auquel ils doivent tous deux la perfection de leur sourire et le dessin sculpturalement symétrique de leurs mandibules. Marco fait descendre sa large main manucurée d'homme de la mer le long du bronzage parfait que découvre l'audacieuse découpe du maillot rouge sang. Paméla ferme les yeux et cambre la croupe sous la caresse délicieuse du marin tout en plaquant son ventre contre les mâles abdominaux.

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Pas de place pour un inutile générique de fin puisque qu'avec ce genre de série, personne ne se préoccupe du nom des acteurs ou de celui du chef machiniste.

Voilà mon aide-soignant, joueur d'échecs, apprenti judoka à moustaches néostaliniennes qui s'approche de moi :

- Pas de partie de Scrabble aujourd'hui ? Votre dame ne passe pas vous voir ?

- Elle devrait arriver vers quinze heures, quinze heures trente et si vous êtes disponible, je veux bien me faire mettre une volée.

- C'est peut-être vous qui gagnerez aujourd'hui.

- Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. Vous êtes beaucoup plus balaise que moi, surtout en ce moment et vous le savez bien, mais c'est gentil à vous d'essayer de me faire croire que je pourrais gagner.

Le sourire entendu s'élargit d'un quart de point.

- Je termine avec l'office et on s'y met.

- D'accord. Je prépare le jeu.

Zappette.

Je quitte le fauteuil en laissant derrière moi la marque en creux de mon postérieur amaigri.

Il faudrait vraiment les changer, ces fauteuils. Ils sont trop bas, trop mous, trop usés, trop sales et trop lourds à déplacer.

Je prends sur une étagère basse le plateau défraîchi d'un Scrabble millénaire et le sac plastique qui contient les petites lettres. Leur couleur évoque toujours pour moi des carrés de chocolat blanc.

C'est grave, docteur ? Est-ce Freudien ?

Tout est nécessairement freudien. On ne risque donc pas de se tromper.

Je cherche du papier pour noter les scores et vais jusqu'à ma chambre pour trouver dans ma table de nuit le porte mine rétractable que ma femme m'a apporté pour mes mots croisés.

Vers les docks où le poids et l'ennui vous courbent le dos, ils arrivent le ventre alourdi de fruits les bateaux…

Mon voisin dort en flatulant bercé par la chaude voix éraillée du grand Charles.

Je pourrais sans le réveiller tirer à l'arme lourde ou lui beugler Viens Poupoule au creux de l'oreille. Quelle heureuse nature ! Mais pourquoi est-il ici, au fait ? Il est toujours très évasif sur la question : Fatigue, lassitude, surmenage, trop de boulot et toutes ces sortes de choses…

J'ai des doutes. Il est trop imprécis pour être honnête. Je ne crois pas non plus que l'on donne les mêmes prescriptions aux surmenés ou aux pauvres bougres en plein sevrage…

Sans parler de ses angiomes stellaires.

Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles…

Je quitte la chambre, mon porte-mine sous le bras.

Ce n'est qu'un trait d'esprit, je l'ai convenablement glissé dans la poche droite de mon pyjama bleu à côté de la dernière carte téléphone qui me reste et dont je ne souhaite pas que Lucette s'empare.

Retour paisible vers la salle à manger.

Passage à l'office que mon partenaire de Scrabble achève de rendre un peu moins sale d'un coup de serpillière énergique mais très professionnel.

Presqu'une danse, en fait.

- J'arrive dans une minute.

Toujours cette manie de faire attendre pour éprouver la patience des patients.

Un petit signe de tête en guise de message reçu. Je me dirige vers la table où je m'assieds devant ma petite réglette. J'inscris mon prénom dans la première, avec des lettres malhabilement tracées, avant d'écrire dans la seconde le nom de mon futur adversaire.

Mes doigts se figent. Comment s'appelle-t-il déjà ? Un nom avec un H ou un M. Je ne sais plus. Il faudra que je le lui demande à moins que je réussisse à le lire sur l'étiquette de sa blouse.

Pour lors, je ne sais plus. J'ai oublié.

Cela aussi, me fait  peur.

 

 

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Publié dans Litterature

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