Onan le barbare

Publié le par bienvenuechezlesfous

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               C'est donc maintenant de profil que je peux observer mon veilleur.

Il déguste, toujours comme un nectar, le brouet qu'on cherche ici à nous faire passer pour du café. Nous-mêmes y avons droit chaque jour au goûter de quinze heures trente et au dessert, mais également le dimanche pour midi.

Je me rappelle encore la tête de l'aide-soignante chargée du service lorsque je lui avais demandé sans rire si l'on nous servait du déca… Je ne cherchais même pas à manier l'ironie. J'en étais incapable. Pourtant, connaissant les doses de neuroleptiques, anxiolytiques, hypnotiques, narcotiques, et autres barbituriques ou anesthésiques qui nous étaient abondamment distribuées.

J'imagine assez maintenant les réflexions amusées qui lui avaient traversé l'esprit au point de faire descendre un sourire sur ses lèvres.

Nous ne sommes plus que deux à être encore debout.

- Salut, à demain.

- Je ne compte pas foutre le camp cette nuit.

- Pas comme l'autre. Tu sais, celui qui a un plâtre à la jambe droite et une paire de cannes anglaises.

- Je sais qu'il s'est fait ça en essayant de passer par-dessus les grilles du château. ça l'a bien calmé de se foutre la gueule par terre.

-  C'est vrai qu'il était encore pas mal amoché, il y a deux semaines. Là, ça va mieux, mais avant, il donnait l'impression de s'être battu avec un autobus en rut.

L'infirmier noir de poil a fini son café. Le voilà qui traîne en roulant des épaules sa grande carcasse jusqu'à nous.

- Il va être temps d'éteindre.

Sa voix est douce. Ni crainte, ni colère, ni agressivité, ni énervement, ni lassitude. L'info brut de décoffrage : Il va être temps d'éteindre, c'est tout.

Je jette un coup d'œil sur ma montre pour évaluer les dégâts causés au règlement intérieur : 23 heures 37. Il va être temps, en effet. Nous sommes tous censés être au lit à la fin du programme télé de première partie de soirée. Comme il s'est achevé il y a un peu plus d'une heure, il serait effectivement raisonnable de regagner nos quartiers.

- Bon, allez, salut.

Certains ajoutent parfois à ce genre de civilités un "Te branle pas trop, ça  empêche de dormir !" dont j'ai peine à évaluer le degré d'ironie qui le teinte. Pour ce qui me touche, je n'éprouve plus, depuis plusieurs semaines la plus minuscule expression d'appétence sexuelle. Il paraît pourtant qu'il s'en passe de belles dans certaines chambres, mais j'ai assez de mal à seulement dormir dans la mienne pour trouver l'énergie suffisante au plus petit début de galipette.

Ils sont quelques-uns uns, sur la piste, à faire étalage de leurs prouesses copulatives ou onanistes :

Il y a celui qui s'est vidé les burnes vingt-trois fois la nuit dernière et qui le clame bien haut dès le petit déjeuner. Il sommeille sûrement en lui je ne sais quelle âme de comptable refoulé.

Il y a celui qui chuchote à grand renfort de clins d'œil outranciers qu'il s'est fait la petite junkie de la chambre en face des chiottes, et se vante déjà de ses exploits de la nuit prochaine.

Il y a celui auquel le personnel doit sans cesse rappeler la nécessité de mettre un slip sous son pyjama bleu dont la braguette a une forte tendance naturelle à demeurer béante contre toutes les règles de la plus élémentaire bienséance.

Il y a ceux qui se frottent aux angles des murs, ceux qui violent des yeux tout ce qui a des seins, ceux qui bavent en silence, les yeux dans le vague, enfoncés dans un fauteuil aussi sordide que leur hébétude, une main glissée entre leurs cuisses sous les pans de leur robe de chambre. Ceux aussi qu'on ramène régulièrement dans leur chambre en attendant que s'y apaise l'angoisse qui les pousse à de trop évidentes pratiques masturbatoires, et puis il y a moi. Tout surpris de ne pas souffrir de manque.

Ce doit être les médocs ou alors je vieillis.

 

 

 

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Publié dans Litterature

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P
<br /> L'angoisse peut-être des lendemains qui déchantent<br />
Répondre
B
<br /> <br /> Ou celle des vieux chants qui se souviennent ?<br /> <br /> <br /> Et puis aussi l'angoisse du vide en soi au fond duquel on tombe infiniment...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Norbert<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />