Décapité

Publié le par bienvenuechezlesfous

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         Les dalles carrées blanches d'un matériau isolent insuffisamment efficace dessinent au plafond un maillage régulier de cage.

Que suis-je venu faire ici ? Pourquoi ai-je accepté d'y être amené une première fois ? Pourquoi ai-je été assez fou pour qu'on m'y enferme à nouveau alors que j'en étais sorti ?

Ma tête repose lourdement au fond d'un oreiller tiède. Je dois être étendu sur le dos, avec, c'est presque sûr, les bras le long du corps ou bien les mains posées sur le ventre avec les doigts sagement entrecroisés à la manière des cadavres préparés pour l'exposition.

En fait, je ne sais pas exactement quelle est ma posture car je ne perçois rien d'autre de mon corps que le poids de ma tête sur l'oreiller. Peut-être ai-je été décapité sans en conserver de souvenir pour ne plus être qu'un cerveau enfermé dans une boite crânienne elle-même gardée au secret de cette grande chambre blanche ?

Quoi qu'il en soit, au-dessous de mon cou, il n'y a plus rien. Je ne sens plus rien. Rien n'existe donc plus. Ni mouvement ni perception d'aucune sorte. J'imagine combien une telle cénesthésie devrait être porteuse d'angoisse, mais, paradoxalement, elle me sied on ne peut mieux. J'éprouve le bonheur indicible d'être déjà mort pour partie. Pourquoi ma conscience ne s'éteint-elle pas tout à fait et de façon définitive ? Pourquoi puis-je encore penser, et par conséquent avoir peur ? Pourquoi encore ressentir la souffrance à l'exception de toute chose ? Je voudrais m'endormir et ne plus jamais m'éveiller. N'est-ce pas cela qu'on nomme la mort ?

Je ne désire rien d'autre avec tant de violence que seul l'égale le sentiment dégoûté de mépris où je me tiens d'oser formuler un désir aussi inhumain. Le fait même de désirer la mort me prouve spécieusement que je ne  mérite rien d'autre. Je suis une infamie à forme humaine, bonne, tout juste à faire souffrir les autres et à souffrir elle-même en retour. Ce qui, au fond, est bien moral. Alors un peu de pitié, que diable. Si ce n'est pour moi, qui n'en mérite aucune, du moins pour tous ceux qui sont par ma faute les victimes d'un odieux calvaire.

Qui a le droit de faire ainsi subir aux siens cette torture subtile à laquelle je les soumets ? Personne.

Il est donc nécessaire que je meure une bonne fois pour qu'elle trouve enfin son terme. Je ne veux pas tant ne plus souffrir moi-même que cesser de faire souffrir ceux auxquels je tiens. Alors que ne batte plus le cœur de la bête. Que soit éradiqué le virus malin que je suis devenu. Je ne suis plus qu'une maladie et tous ceux qui éprouvent pour moi un quelconque attachement en sont contaminés. Ils en souffrent et finiront à coup sûr par en crever.

Voilà donc pourquoi il convient de prendre les mesures sanitaires qui s'imposent en désinfectant le monde de ma présence, en purgeant définitivement l'existence du mal que je représente.

Tuez-moi !

 

 

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Publié dans Litterature

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