Toujours enfermé

Publié le par bienvenuechezlesfous

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On m'a défait mes liens.

Un type que je ne reconnais pas est venu et a parlé avec moi. L'avais-je déjà vu au paravent ? On m'affirme que oui, mais, même  maintenant, ma mémoire est toujours rétive à le confirmer.

Il porte une petite paire de lunettes rondes et arbore une tignasse grisonnante de vieux lion.  Sa voix est douce et d'une fermeté sans réplique. Les autres soignants se taisent lorsqu'il émet un avis, me confirmant par là, qu'il est ici le dépositaire suprême de l'autorité. Je lui ai dit que je ne voulais plus être attaché, que je me tiendrai tranquille, que je n'agresserai plus personne ni n'essaierai de me porter atteinte. J'ai demandé, j'ai promis comme un enfant.

- Moi, m'a-t-il répondu, je travaille dans le soin, pas dans la promesse. Il ne suffit pas que vous me disiez que vous allez vous tenir tranquille pour que j'accepte qu'on vous détache. Ce qui compte pour moi, ce sont les actes.

J'ai certainement bafouillé que je le comprenais parfaitement et que j'étais bien d'accord avec lui. Bien sûr. Il avait raison. Je m'étais mal conduit mais je ne recommencerai plus, c'est promis.

Une infirmière aux cheveux courts a pris ma tension sans un mot de commentaire.

Un aide-soignant vêtu d'une tunique sans manches dévoilant ses biceps de lanceur de piano a récupéré l'urinal que j'avais toujours entre les jambes, est allé le vider et l'a remis en place sans une parole ni un regard.

Deux  femmes en blanc se sont affairées autour de mon lit, vérifiant mes liens, puis me bordant et réajustant les couvertures repliées qui, glissées sous mon matelas de mousse, me permettent d'avoir la tête et les épaules très légèrement surélevées.

L'aide-soignant taillé comme un docker s'est approché de moi avec un gobelet en plastique qu'il a approché de mes lèvres en me soulevant le torse avec la même facilité que si j'avais été un jeune chaton qu'on manipule pour lui donner le biberon.

J'ai bu.

J'avais soif comme je ne l'imaginais pas.

Ce n'était pas de l'eau. On y avait ajouté, je ne sais quel concentré lui donnant une saveur légèrement acide au parfum de citron vert.

J'ai dit merci. Merci beaucoup.

Pas par simple politesse ni avec la moindre hypocrisie, mais parce que j'éprouvais une gratitude profonde à l'égard de  cet homme qui s'occupait de moi avec des gestes si pleins de douceur et d'attention.

Comment était-il possible que l'on me traitât aussi bien ?

Qu'avais-je fait pour mériter autant de zèle ?

Autant de soins ?

Alors que je suis si mauvais, si méchant, si malfaisant, si méprisable ?

L'homme aux lunettes rondes, à la crinière argentée et au complet veston impeccablement ajusté est  sortit le premier sans ajouter une seule parole à ce qu'il m'avait déjà dit.

Tous les autres l'ont suivi à la queue leu-leu. Un type plus jeune, mal rasé, en blouse blanche, avec un grand bloc note à la main, et qui durant le temps qu'avait duré la scène, s'était tenu silencieux et appuyé contre le mur, dans l'angle à gauche de la baie vitrée, les deux infirmières avec leur montre suspendue à leur blouse comme une médaille et les branches de leur stéthoscope dépassant de leur poche droite, puis l'aide-soignant athlétique, tirant derrière lui la porte qui se bloqua d'elle-même.

 

 

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Publié dans Litterature

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