Le plaisir d'une conversation banale

Publié le par bienvenuechezlesfous

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               D'ici peu, certains s'affaireront à dresser les tables pour le repas de midi.

Le sol est encore par endroits couverts de longues traces humides et luisantes. Une variété locale d'escargots géants ? Ce n'est que mon aide-soignant mélomane à moustaches qui jouait encore de son balai éponge industriel par ici il y a peu.

Rien à signaler.

Inès de la  Fressange lance une nouvelle ligne de vêtements chics et décontractés pour les femmes qui veulent rester femmes en faisant des boulots de mecs.

Le dernier comte de Paris annonce en grandes pompes qu'il ne se portera jamais candidat à la présidence de la République. Quelle tristesse, moi qui  avais fondé tant d'espoir sur sa personne.

Madame Filorget est debout devant la porte de sortie et, le visage quasiment collé à l'épaisse vitre rectangulaire, elle observe le téléphone mural qui se trouve en face de l'ascenseur. Au moins, elle est très constante dans ses obsessions.

Je m'ennuie.

Voilà mon aide soignant préféré qui arrive en secouant son lourd trousseau de clefs. Je vais peut-être lui demander s'il est libre pour une partie de Scrabble. Il entre dans le salon de lecture et s'adresse directement à moi.

- ça ne vous dérange pas si je vous enferme pendant quelques instants ? Vous n'aviez pas l'intention de bouger ?

- Non. Pas de problèmes. Que se passe-t-il ?

- Il va y avoir quelques arrivées et cela risque d'être un peu mouvementé dans le service. C'est dommage, parce que ces derniers temps, on avait plutôt des gens calmes.

- Vous pouvez verrouiller les portes, je vais rester ici à bouquiner et à regarder la télé. Je préfère être ici qu'enfermé dans ma chambre.

- Bon, alors je ferme. Ne vous inquiétez pas. Cela ne devrait pas durer trop longtemps, j'espère.

- Dites-moi, ils doivent être pas mal agités, vos nouveaux clients, pour que vous preniez ce genre de précautions ?

- Un peu agités, oui. Mais ils vont bien finir par se calmer. Bon, allez, à tout à l'heure.

Et je me retrouve donc sous clef dans le vaste réfectoire.

Quelques minutes plus tard, j'entends dans le hall d'entrée les signes bruyants d'une agitation certaine. Il y a des injures, des cris, des portes qu'on secoue et qu'on claque, des bruits de lutte qui s'estompent peu à peu.

Après environ un quart d'heure, le bruit de la serrure se fait entendre et mon aide-soignant apparaît dans l'encadrement.

- C'est bon maintenant. Vous pouvez bouger.

- ça  n'a pas l'air de tout repos tous les jours votre travail, dites-moi ?

- Pas tous jours, non. C'est vrai que ces derniers temps c'était plutôt calme, mais ils ont de plus en plus l'habitude de nous adresser des personnes qui ne relevaient pas de notre service autrefois. Il est grand temps que les nouveaux bâtiments soient finis. Parce qu'on commence à être un peu à l'étroit.

- Si je comprends bien, ici aussi on souffre de restrictions budgétaires.

- Ouais, et j'ai peur que cela n'aille pas en s'arrangeant.

Il part.

Notre conversation a été assez brève mais cela fait un bien inimaginable d'échanger quelques paroles où chacun semble oublier ou tout au moins faire abstraction de la distance qu'impose la relation soignant-soigné.

 

 

 

 

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Publié dans Litterature

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P
C'est cela. L'espace d'une conversation renouer avec la normalité et surtout ressentir l'impression de ne pas être éloigné de la réalité.<br /> Imaginons que l'infirmier oublie ses clés et que le patient s'en empare et diffuse la même information de chambre en chambre ( une pirouette qui réveillerait l'ensemble). jusqu'au moment où l'on<br /> s'aperçoive de la tromperie. Hi!hi! Il faut bien se distraire!
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