Miction impossible

Publié le par bienvenuechezlesfous

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            Je m'arc-boute pour me ramener lentement sur mon matelas.

Une monstrueuse armée de fourmis enragées me déferle dans tout le bras, qui est devenu aussi dur que de l'acier. C'est à hurler, mais ce n'est  pas mortel. Je me tortille comme un supplicié sur son gril. ça dure un certain temps. Et puis ça passe. Le troupeau d'insectes furibards se calme peu à peu, puis son flot se tarit et je me retrouve seul avec ma lourdeur dans le bas ventre qui, elle, ne m'a pas abandonné. Il ne doit rien y avoir de plus fidèle qu'une envie d'uriner. J'essaie avec mes jambes de localiser l'urinal. Pourvu, au moins, qu'il ne soit pas tombé pendant mes acrobaties.

Je serais obligé d'appeler.

La honte.

Le ciel a pris une couleur de vieille serpillière.

Il pleut toujours. Peut être un peu moins dru, mais avec l'insistance coutumière au ciel breton.

J'ai certainement dormi encore.

Combien de temps ? Impossible de le préciser, mais au moins quelques heures, au vu de la quantité de lumière qui pénètre à présent dans la chambre.

J'ai un poids au bas du ventre. Une lourdeur pulsatile qui frappe au rythme de mon cœur. Il ne me manquait plus que cela. Qu'est-ce qui ne va pas encore ? Pourquoi ai-je les entrailles à ce point douloureuses ? Il faut que je me vide, c'est vrai ! Je l'avais oublié. C'est encore une fois cette bonne vieille vessie qui cherche à se faire remarquer. Se prendrait-elle pour une lanterne ?

Il faut que je réussisse à l'épancher de son trop plein. Il faut que j'y parvienne seul. Je ne veux pas être contraint de demander l'aide d'une infirmière qui viendra m'appuyer des deux mains sur le bas  de l'abdomen en essayant de me convaincre de me détendre pour que se libère un flot salvateur d'urine jaunâtre et odorante. De mes deux mains entravées, je parviens à localiser le pistolet.

Maladroitement, je trouve le col cylindrique de l'appareil et mes doigts glissent avec lenteur jusqu'à son embouchure évasée en une espèce de petit entonnoir.

Quelle sensualité !

Deuxième partie de l'opération : Je dois trouver l'engin qui devrait s'introduire dans l'entonnoir en question afin de pouvoir effectuer mon petit versement en liquide. Où diantre est-il passé ?

Disparu ! Evaporé ! Volatilisé ! Quelle aubaine !

Moi qui finissais par le trouver encombrant avec ses manifestations autonomes et intempestives de turgescences incongrues. Un dieu bienfaisant et empli de miséricorde aurait-il enfin accédé à mes vœux les plus secrets ? Plus de ces bandaisons ostentatoires et agressives ! Terminée la dictature pénienne et ses élans furieux de rut barbaresque ! Achevé et castré cet animal en moi.

Merci Seigneur, quel que tu sois !

Mais comment, à présent, vais-je parvenir à soulager cette vessie au bord de l'explosion ? Je me suis réjoui trop rapidement de mon émasculation miraculeuse.

Je retourne donc à mes explorations pour finir par dénicher ce bout de tuyaux saugrenu à l'esthétique discutable tout ratatiné sur lui-même et moins tonique qu'un macaroni oublié au fond d'un évier humide. Pas  de quoi pavoiser, on le voit. Enfin, pour l'usage qui m'intéresse, il fera bien l'affaire, si je réussis à l'étirer un minimum. Je l'extirpe donc comme je peux de mon entrecuisse et, après plusieurs échecs où l'ustensile rétif s'échappe de mes doigts pour se racornir encore davantage, victoire, je le tiens !

Je garde néanmoins dans le triomphe une modestie d'expression que favorisent largement les diverses substances psycholeptiques que charrie en abondance mon système circulatoire.

L'étape suivante consiste pour moi en l'abouchement du conduit d'évacuation avec le canal de réception de mon petit vase d'aisance individuel.

Je ne suis donc en rien au bout de mes difficultés.

Me voici en train d'effectuer de vigoureuses tractions sur ma malheureuse durite.

Je finis par l'empoigner à pleine paume et à tirer dessus avec l'énergie désespérée de l'ivrogne qui peine à extraire le bouchon récalcitrant d'une bouteille jalouse du breuvage qu'elle renferme. Je tiraille sur l'engin, le distends, le triture en vue de lui redonner le minimum de longueur pour en autoriser l'usage.

Quelle misère ! Je dois être beau à voir : ligoté, échevelé, dénudé et malhabile. Sans doute transpirant et grimaçant sous l'effort.

Si au moins, une caméra vidéo pouvait immortaliser la performance, je suis sûr que diffusées sur internet,  ces images-là trouveraient un public d'amateurs avertis capables d'apprécier toute leur puissance comique.

Sur l'instant, en tous cas, je n'ai pas de telles préoccupations médiatisantes.

Je dois maintenant être assez adroit pour introduire la buse de chair molle dans l'embout de plastique dur.

Encore quelques tâtonnements aussi lamentables qu'infructueux avant d'y parvenir, le temps d'envier les grimpeurs himalayens dont l'entreprise me paraît plus aisée que la mienne et ça y est : Le truc est dans le machin !

Applaudissez mesdames et messieurs ! Voyez comme l'acrobate est hardi et comme il a su faire montre de cette dextérité qui ne se rencontre pas une fois par siècle ! Il a, sous vos yeux ébahis, réussi tout seul et sans filet à glisser sa bite dans un goulot.

Respect, mesdames et messieurs, respect, et standing ovation pour l'artiste.

Tu parles Charles, le plus difficile est encore à faire car me voici en train de jouer dans un épisode inédit de miction impossible.

Avez-vous déjà tenté d'uriner sans l'aide efficace de Newton ? Croyez-moi sur parole, ce n'est pas si simple qu'on pourrait le penser. Pour moi, en tout cas, cela ne coule pas de source.

 

 

 

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Publié dans Litterature

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P
Nous ne sommes que de chair et de sang et oublions souvent que les besoins les plus rudimentaires deviennent extravagants quand nous nous trouvons dans l'impossibilité de les assouvir.
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B
<br /> <br /> Et comme écrivait ce bon vieux Blaise Pascal : "L'homme n'est ni ange et bête et qui veut faire l'ange fait la bête." Je cite de mémoire.<br /> <br /> <br /> Et comme disait ma grand'mère : La culture c'est comme la confiture, moins on en a plus on l'étale." Mais j'gnore ou ma grand'mère avait piqué ce bel aphorisme.<br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br /> Norbert<br /> <br /> <br /> <br />