Les anges

Publié le par bienvenuechezlesfous

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            - ça va ?

- ça va.

Qui de nous deux s'est jeté dans cet échange frôlant la frénésie verbale ? Je n'en ai plus la plus mince idée.

Un ange, puis un second sont passés dans les nues. C'est bientôt un vol complet qui traverse l'azur lumineux aux reflets paradisiaques.

On ne le sait qu'assez rarement, mais les anges lorsqu'ils volent, emportent avec eux un coin de ce ciel si particulier qui enveloppait l'Eden avant qu'Eve ne veuille se lancer dans le négoce illicite de fruits et légumes. Un ciel et un bleu d'une pureté inconnue des hommes. Plus transparent que le bleu aveyronnais au cœur d'un été miraculeusement sans orage. Plus pur que l'enveloppe des déserts africains en hiver. Une teinte oubliée, dont rien sur terre ne se rapproche plus. Une sorte d'océan insondable que le regard pourrait pénétrer à l'infini tant ses eaux sont limpides.

Voilà où volent les anges.

En V, à la manière des oies cendrées, dont leur plumage a les reflets.

Le plumage des anges n'est pas blanc : Il rutile (Lorsqu'ils sont en bonne santé, cela s'entend, et Dieu Lui-même veille à ce qu'il en soit le plus souvent ainsi.) d'une myriade de reflets. Le ventre de certaines truites dans l'eau claire des torrents qui cascadent au printemps dans les environs de Millau pourrait, à qui voudrait, en donner une idée pas trop fausse.

Quelques fois, ils souffrent de parasitoses qui rendent cassantes et ternes leurs rémiges : Ce sont des angelures provoquées par une variété toute spéciale d'acariens célestes.

En général, ça démange.

On voit alors les anges se réunir pour former un cercle parfait où chacun gratte avec une délicatesse angélique cet endroit particulier situé dans le dos, à la jonction des ailes et qu'un ange seul ne pourrait se toucher lui-même sans se contraindre à des contorsions quelque peu ridicules et que désapprouve une très stricte étiquette.

Ils passent ainsi, dès qu'ils en ont la possibilité, des heures, des jours, des mois, à soulager leurs petits camarades tandis qu'ils sont soulagés eux-mêmes.

Quand on aime, on n'a pas l'âme d'un comptable.

Il se dit que certains prennent un plaisir coupable à cette pratique de grattouillis collectifs ; mais le vrai plaisir ne l'est-il pas toujours ? On en voit qui ferment doucement leurs paupières de soie rose aux longs cils et s'abandonnent jusqu'à émettre de légers gémissements trop bas et profonds pour n'être pas suspects. D'autres indiquent en chuchotant à peine l'endroit précis où la démangeaison est la plus insupportable :

- Un peu plus bas. C'est bien. Plus fort etc. …

Et tout cela demande une bonne petite éternité. Jusqu'à la satisfaction parfaite de chaque membre du cercle.

On prétend aussi, mais cela reste à vérifier, que les quatre Archanges, qui sont un peu là-haut ce que sont les contre-maîtres ici-bas, feraient preuve à l'égard de ces pratiques hédonistes d'une mansuétude frôlant la complicité.

On ajouterait même, qu'ils ne feraient en cela qu'appliquer des consignes venant de plus haut. De beaucoup plus haut, poursuit-on soto voce. Que dire alors de plus ?

-Tu sors bientôt ?

- J'espère, en tous cas. Deux ou trois semaines, je ne sais pas…

Et toi ?

- Oh, moi !

Haussement d'épaules désespérément désabusé.

Et que fait-il ici ? Il a un air si normal, lui aussi, par moment.

- Au fait, qu'est-ce qu'il fallait comprendre l'autre jour quand tu disais que le simple fait de parler entre nous était suspicieux ?

- Je sais pas. Je me rappelle pas.

Mon œil.

- C'était quand on jouait au Scrabble. Dimanche dernier. Avec David. Tu te souviens ? On a parlé pas mal et tu disais que les infirmiers pourraient trouver ça suspicieux.

- Je sais plus. J'ai oublié.

- On a discuté pas mal. Tu disais que je pourrais sortir quand je voudrai, que j'étais vachement bien par rapport aux autres, qu'il suffirait que je parle un peu avec le psy pour qu'il me laisse sortir.

- Je sais plus, je te dis.

Michel commence à s'agiter. Doit trouver que je deviens chiant avec mes questions. C'est vrai. Je suis chiant avec mes questions, et d'une manière générale. Et lorsque j'ai une idée en tête, je ne la lâche pas  facilement. Surtout ici, lorsqu'il s'agit du sens d'un mot.

Suspicieux… suspicion…

 

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Publié dans Litterature

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