Evidemment...

Publié le par bienvenuechezlesfous

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            Pas de problème de stationnement.

C'est dommage.

Il faut y aller.

Nous descendons de la voiture, gagnons l'entrée, appelons l'ascenseur, montons à l'étage indiqué sur les panonceaux, sonnons pour qu'on vienne nous ouvrir la lourde porte percée de sa petite lucarne et nous voici dans la place.

Je donnerais n'importe quoi pour être ailleurs. Tout me rebute : L'odeur, la couleur sale des murs, les fauteuils avachis, les malades avachis dans les fauteuils.

Pourquoi ai-je demandé à venir ici ? Je me suis trompé. Cela arrive à tout le monde, non ? Allez, c'est une simple erreur d'aiguillage. Je n'ai rien à faire ici. En même temps… En même temps, j'ai si peur qu'on me dise que je n'y ai pas ma place, que je ne suis pas si mal, que je m'écoute un peu trop, voilà tout. Allez, rentrez chez vous. Vous n'avez rien à faire ici et d'ailleurs nous ne pouvons rien pour vous. Il y a déjà tant de vrais malades dont nous pouvons à peine nous occuper comme il le faudrait.

Nous devons patienter. On va nous recevoir.

Bien sûr. Pas de problème. Je patienterai. Prenez tout votre temps. Rien ne presse. Je peux même revenir si cela vous arrange. A y bien regarder, j'essaie déjà mon air dégagé de celui qui ne va pas si mal, après tout. Parce qu'au fond, ça ne va pas si mal, non ? Mais lorsque je regarde les traits de ma compagne, figés par l'inquiétude, je n'en suis plus si sûr. S'il vous plaît, dites-moi que cela ne va pas si mal.

Des portes claquent, des clefs sonnent, des siphons hurlent comme des harpies, des tuyaux cognent et tremblent.

Chicago : Les abattoirs. Les bœufs. La chaîne. Les petites boites toutes pareilles qui défilent sur le grand tapis roulant. Les cris des bêtes que l'on éventre, pas tout à fait mortes. L'odeur forte, poisseuse et douceâtre des viscères qui se répandent en fumant avec des bruits de sacs qui tombent. Les chocs sourds des tranchoirs qui  s'abattent sur les os.

Je ne suis pas très rassuré. Je veux partir. Je ne veux pas entrer dans la  boite. S'il vous plaît.

Des gens circulent autour de nous dont certains semblent chez eux. Une petite foule bigarrée vêtue de broc ou de bric. Je ne m'y sens pas trop à l'aise. Je ne suis pas des leur. En tous cas, je ne le veux pas.

Une blouse blanche vient vers nous.

- Il faut patienter un peu. L'interne va vous recevoir.

Qu'il ne se presse surtout pas.

Encore du temps qui trépasse. Nous parlons. Je m'efforce d'être rassurant : Ne t'inquiète pas. C'était le meilleur des choix à faire. Ne t'inquiète pas. Il n'y avait pas de meilleure solution. Ne t'inquiète pas. Je suis déjà plus calme à présent. Je suis certain que nous faisons le meilleur des choix. Ne t'inquiète pas…

Qui veux-je convaincre ? Moi-même autant que ma compagne et vice versa. Quel salaud je fais ! De quel droit lui infligé-je pareil tourment ? Qui suis-je ? Quel mauvais numéro a-t-elle tiré en liant ses jours avec les miens ?

- L'interne va en avoir pour encore un moment. Si vous voulez, nous allons faire le tour du service, pour que vous puissiez vous rendre compte. Vous allez voir, ce n'est pas bien grand.

Et la visite commence :

- A ma gauche, mesdames z'et messieurs, vous pouvez voir le local de nos amis les pharmaciens. Ils ne sont pas ici pour le moment, mais on sait où les trouver lorsqu'on a besoin d'eux. De part et d'autre de ce couloir, dont vous pouvez goûter l'harmonie des teintes et la chaleur des matériaux, se répartissent des chambres à un, deux ou trois lits. Je ne vous cache pas que les chambres seules sont littéralement prises d'assaut et que nous ne pourrons vous accueillir que dans ce que nous nommons un dortoir, c'est à dire une chambre à trois places évidemment.

Sur votre droite, la porte de la salle de bain, actuellement fermée mais que je vais vous ouvrir et où il est possible, aux horaires indiqués, de prendre des bains ou, c'est plus rapide, des douches. J'ouvre la porte. Vous voyez, c'est à la fois simple et fonctionnel. Poursuivons la visite, si vous voulez bien.

Ici, toujours sur votre droite, se trouvent les toilettes. Ce sont des toilettes, je n'insiste pas évidemment. Elles sont ouvertes en permanence. Nous avons ici un local technique auquel vous n'aurez jamais accès et où l'on range divers produits tels que les désinfectants, les détergents, les désodorisants. Continuons.

A gauche, toujours des chambres et ici, la réserve de linge et de serviettes. Ici tout est fourni sauf les sous-vêtements, évidemment, et le savon qu'il faudra demander à votre famille de vous apporter. Nous vous donnerons un jeu de serviettes éponges et un pyjama. On vous en donnera autant que vous voudrez : Si vous en voulez un par jour, on vous en donnera un. Si vous en voulez deux, on vous en donnera deux. Vous comprenez ? Bien sûr, si vous nous en demandez vingt tous les jours, on ne pourra pas vous les donner, évidemment.

Derrière vous, sur la droite, se trouvent les deuxièmes toilettes. Elles sont identiques aux premières sauf qu'on y laisse ces grands filets bleus où l'on jette le linge sale. J'allais oublier : Les draps sont fournis en même temps que les serviettes. Si vous voulez les changer tous les jours, vous pouvez et vous les jeter dans les filets bleus. Chacun fait son lit, évidemment. Nous continuons.

Ici se trouve le vestiaire du personnel. Il est marqué "vestiaire" et ne vous intéresse pas. Là, par contre, sur la droite, se trouve le bureau. Si vous avez besoin de quelque chose, vous frappez et on vous ouvrira, s'il y a quelqu'un, évidemment. Ici, c'est le hall d'entrée. Vous connaissez déjà. Là, se trouve l'office où on prépare les repas. En fait, on ne fait que les réchauffer parce qu'ils nous arrivent déjà tout préparés. Il y a aussi un lave-vaisselle, mais ce sont les soignés qui essuient, évidemment. On n'est pas obligé, mais bon…

Dans ce couloir, il y a la salle d'entretien. C'est pour les entretiens avec les médecins. Vous verrez. Là, nous avons le fumoir, pour les fumeurs, évidemment. Vous fumez ? Et par ici, on revient dans le réfectoire où on mange. Evidemment. Là-bas, il y a le salon télé avec la télé qui est toujours fermée au moment des repas, évidemment.

Voilà. On a fait le tour. Vous avez des questions ?

Oui, non, je ne sais pas. J'ai écouté sans entendre ou le contraire. Je ne suis pas bien sûr d'avoir tout compris. Des questions ? S'il m'en venait, je suppose que je pourrai encore les poser un peu plus tard puisque je suis censé demeurer un certain temps ici. Parce que là, vraiment, je n'ai pas tout suivi. Des questions ? Oui :

- On reste combien de temps ici, en général ?

- En général ? C'est très variable. Mais il faut compter au moins trois semaines au départ. Pour que les médecins puissent se faire une idée, évidemment.

Une idée… Trois semaines pour une idée ! C'est déjà vachement long, trois semaines. Trois semaines pour une idée… ça leur fait une petite moyenne d'un peu moins de quinze idées par an, si je retire les périodes de vacances sans aucune idée du tout, ils doivent s'emmerder ferme les toubibs, par ici…

 

 

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Publié dans Litterature

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